Edward Povey – INCOMPLETE – Cinematic portrait

Un film de Peter Pahor

Edward Povey, an artist on the threshold / Un artiste du seuil

(Texte en Anglais – Traduction Jacques Guérin)

(Texte de Jean-François Ferbos)

Portrait cinématographique par Peter Pahor

INCOMPLETE & Portrait d’Edward Povey

Ces deux films nous donnent l’occasion de voir Edward Povey en mouvement, de le voir parler, marcher, travailler, d’observer ses mains, précieux outil en action. Nous assistons à une rencontre asynchrone, faute de ne pouvoir le rencontrer en chair et en os. Ce ne sont pourtant que des images et à ce titre, elles ne peuvent être signifiantes qu’en s’offrant à l’interprétation et sous le voile de la subjectivité du regardeur. Un certain ratage, une perte, demeurent donc inévitables, mais c’est en cela, comme il le dit si bien, à sa façon, que cette vacuité laissée par l’incomplétude est le ressort même de ce qui maintient la pulsion vitale en mouvement. C’est ce manque-là qui qui maintient au seuil, en mouvement, « entre la naissance et la mort », entre « verdaccio et blood ». Son approche artistique, en ce sens, résonne très fort auprès de moi et me lie à lui dans une sorte de connivence aux affinités électives.

Pour revenir à ces deux films, à proprement parler, il y a une grande différence entre le premier, sorte de teaser et le second.

Le premier, « INCOMPLET », très court, constitue vrai agencement artistique fabriqué par Peter Pahor. C’est un bel objet et une belle interprétation qui de mon point de vue indique que Peter Pahor comprend parfaitement le travail d’Edward Povey. Mais, ce film demeure son objet, un objet bien inspiré. On y trouve une rhétorique qui me semble essentielle dans le travail de Povey, celle du mouvement, produite par cette scansion au rythme effréné, qui suggère parfaitement des effets d’apparition puis de disparition. Dans son art, il me semble, tout se joue dans un seuil ténu situé entre deux pôles qui le construisent et en forment les bords. C’est en ce lieu-là que se situe son art, saisissant paradoxalement un instant crucial et en mouvement, celui de l’intensité émotionnelle. Cette ténuité serait donc le motif « en-soi » de sa création. Quels sont ces pôles ? Je prends par exemple l’expression réalisme émotionnel dont il se définit et qui est un bel oxymore. La tension se joue entre les « émotions », précisément « la charge émotionnelle », qu’il place du côté de l’authenticité et le « réalisme », que nous pourrions appeler le mensonge. Povey a recours à d’autres pôles pour créer ce seuil :

Intimité – « extimité ».

Public (le regardeur) – privé. 

Dedans – dehors. 

Fantasmes (fantômes) – modèles. 

Authenticité – apparences. 

Représentation – mensonges. 

Père – mère. 

Père – sublimation. 

Fini, achevé – inachevé (La trace de son dessin sur la toile forme une délicate transition avec la couleur pleine de l’illusion des volumes). 

Féminin – masculin. 

Verdaccio – blood . 

Noir et blanc / couleur (confère vidéo n°2) etc.

Cet effet de seuil est le résultat de la représentation par l’image, je crois. J’ai envie de citer Jean-Christophe Bailly : 

« En effet, l’image est toujours déjà seconde, elle ne peut être image que de quelque chose : ce qui, dans l’image, entrelace le non-être et l’être, c’est cette simultanéité d’une existence et d’un renvoi à l’existence ou, comme on l’a souvent dit (à propos du portrait notamment), d’une présence et d’une absence. Cette sortie est à la fois un mouvement (l’être sort de lui-même, quelque chose est sortie de l’être) et une stagnation (ce qui est sorti ne se pose qu’en flottant, nous sommes devant quelque chose qui s’échappe mais qui, tout autant, se tient dans une fixité) ».

Ce premier film, dense et court est donc une sorte d’œuvre d’art en soi. Mais en ce sens, il est empreint d’une version, celle de son réalisateur. Il me plaît beaucoup.

Néanmoins, à titre très personnel, je préfère encore plus le second film, « Portrait d’Edward Povey », car sa temporalité et son rythme laissent le temps de le voir et de l’écouter. Edward Povey y est au centre et Peter Pahor déroule avec brio ses « images-mouvement » (je fais référence à dessein à Gilles Deleuze) avec l’art subtil de s’effacer de son ouvrage et dont le style œuvre au profit du travail du peintre. Le parti pris de filmer de près ou de loin, de se centrer sur ses mains ou sur son regard m’a beaucoup plu, comme le choix de la couleur ou du noir et blanc. Peter Pahor met en place un fil conducteur qui indique qu’il a parfaitement compris le processus créatif d’Edward Povey et son travail entre discrètement en discussion avec lui.

Plusieurs points méritent qu’on en parle. J’ai été particulièrement attentif au passage du noir et blanc à la couleur et vice versa. Il produit ce que j’appelle un « effet de seuil ». En effet, si son art n’est en aucun cas une narration biographique, il tire sa source dans ce qu’il appelle sa mémoire et que de mon côté j’appelle ses fantasmes (Ogni dipintore dipinge se). C’est inévitable et passionnant car c’est en ce sens que la charge émotionnelle donnée aux matériaux de ses œuvres y puise son authenticité. Sous le verni des apparences se trouve la force mouvante des émotions. Les séquences en noir et blanc m’ont donc beaucoup plu et intéressé car leur objet est celui de l’intimité psychique et créatrice de Povey. Cette belle boîte en bois, qui contient des photos de famille, notamment de son père, pourrait être une urne mortuaire, mais pour moi, elle revêt un sens différent. Elle représente le silène incarné par Socrate dans le banquet. Ce silène est une boîte contenant les agalmata, c’est-à-dire des objets brillants, convoités et désirables. Alcibiade a compris que son désir pour Socrate n’est pas charnel, mais qu’il se situe plutôt du côté du savoir que possède son maître. Ces agalmata sont des objets cause du désir et pour lui je dirais que les agalmata contenus par ce petit coffre sont cause de son désir de peintre. Ce père, terrible et traumatisant par certains côtés lui a aussi donné la ressource de sublimer dans l’art, un art qui fait partie de son être.

C’est ici et grâce à ce jeu de l’alternance entre la couleur et le noir et blanc que se situe le fil conducteur, selon moi, de ce très beau film. En lui se cachent quelques secrets énigmatiques de son processus créatif. Je trouve que Peter Pahor est très fin et subtil dans sa manière de mener sa caméra. Par ailleurs, il faut le dire, Edward Povey y est magnifique et attachant, admirable et généreux, authentique. C’est une part de son monde intérieur qu’il nous révèle.

Évidemment, c’est également avec un immense plaisir que j’ai pu voir et comprendre comment il travaille, quelle énergie son art exige de lui et quelle obstination doit être la sienne pour atteindre dans ses toiles ce que son monde intérieur lui évoque, voire appelle d’une façon impérieuse. Chez Povey, la lutte et le combat avec ses fantômes n’est jamais très loin. Il ne fait pas de doute que créer est inévitable pour lui, il en va de son être.

L’un des derniers plans de l’épilogue, avec le piano et « NABOKOV’S WINDOW » en toile de fond est magnifique, excellent ! J’aurais peut-être ajouté un lent mouvement de focale pour déplacer délicatement la netteté du piano vers cette magnifique toile, qui serait passée progressivement d’un flou vaporeux à une clarté flamboyante.

Un dernier point me semble important, lorsque Edward Povey parle de ses modèles essentiellement féminins. Son souci d’avoir recours aux femmes comme figures de référence, que ce soit pour représenter des femmes ou des hommes, indépendamment du lien qu’il établit avec la remarque de son père sur ce que devrait être un homme, que lui, son fils, ne serait pas, est pour moi essentiel. C’est, selon moi, une manière d’entretenir la ténuité d’un seuil énigmatique entre le féminin et le masculin et un réel espace de création. Sa manière de faire, de ce côté-là, est pour moi très importante car je pense qu’être un homme c’est d’abord se reconnaître, pour part, femme au-delà des représentations et des stéréotypies sociales.

Jean-François Ferbos

PS : Je me suis demandé si Peter Pahor était un amateur du cinéma de Robert Bresson. Le premier film, le plus court, est aux antipodes de Bresson, mais le second film, dans sa temporalité, avec cette manière de filmer une action, de façon linéaire, dans ses moindres détails, m’y a fait penser.


ANGLAIS

EDWARD POVEY

An artist on the threshold

Film portrait by Peter Pahor

INCOMPLETE & Portrait of Edward Povey,

These two films give us the opportunity to see Edward Povey in motion, to see him talking, walking, working, to observe his hands, a precious tool in action. However these are only images and as such, they can only be signifying by offering themselves to interpretation and under the veil of the viewer’s subjectivity. A certain failure, a loss, therefore remain inevitable, but it is in this , as he says so well, in his way, that this emptiness left by incompletion is the very spring of what keeps the vital drive in motion. It is this lack that keeps it on the threshold, in motion, « between birth and death », between « verdaccio and blood ». His artistic approach, in this sense, resonates very strongly with me and binds me to him in a kind of connivance of elective affinities.

To come back to these two films, strictly speaking, there is a big difference between the first one, a kind of teaser, and the second one .

The first very short one, « INCOMPLETE »is a real artistic arrangement made by Peter Pahor. It is a beautiful object and a beautiful interpretation which, from my point of view, indicates that Peter Pahor understands the work of Edward Povey perfectly. But this film remains his object, a well inspired object. There we find a rhetoric that seems to me to be essential in Povey’s work, that of movement, produced by this scansion with its frantic rythm, which perfectly suggests effects of appearance and then disappearance. In his art, it seems to me, everything is played out on a tenuous threshold situated between two poles that construct it and shape its edges. It is in this place that his art is situated, paradoxically catching a crucial and moving moment, that of emotional intensity. This tenuousness would therefore be the “on its own right” motive of his creation.

What are these two poles ? I take for example the expression emotional realism, which, he says, characterizes him and which is a fine oxymoron. The tension is between emotions, more precisely “the emotional charge” which he places on the side of authenticity, and “realism” which we could call a lie. Povey uses other dual poles to create this threshold :

-intimacy – “extimacy”

-public (the viewers) -private

-inside -outside

-fantasies((ghosts)-models

-authenticity-appearances

-representation-lies

-father-mother

-father -sublimation

-finished, completed-unfinished (the trace of his drawing on the canvas forms a delicate transition with the full colour of the illusion of volumes).

-feminine-masculine

-verdaccio – blood

-black and white/colour (see video 2) etc.

I believe this threshold effect to be the result of representation through images. I feel like quoting Jean-Christophe Bailly : 

Indeed, the image is always already second, it can only be an image of something : that thing, in the image, which intertwines the non-being and the being. It is the simultaneity of an existence and of the reference to the existence or, as it has often be said ( particularly about portraits) of a presence and an absence. This exit is at the same time a movement (the being goes out of itself, something went out of the being) and a stagnation (what went out is only settled by floating, we are in front of something which escapes but which, just as much, is held in a fixity”.

The first film, dense and short, is therefore a kind of work of art in itself. But in this sense it is imbued with a version, that of its director. I like it very much.

Nevertheless, on a personal level, I prefer the second film, “Portrait of Edward Povey”, because its temporality and rythm allow time to see and listen to it. Edward Povey is at the centre of the film and Peter Pahor brilliantly unfolds its “movement-images” (I am purposely referring to Gilles Deleuze) with the subtle art of stepping back from his work and whose style works in favour of the painter’s work. I really liked the choice of filming from close up or from afar, of focusing on his hands or on his eyes, as well as the choice of colour or black and white. Peter Pahor sets up a leading thread that indicates that he has perfectly understood Edward Povey’s creative process and his work discreetly enters into a discussion with him. 

There are several points that deserve to be discussed. I was particularly attentive to the transition from black and white to colour and vice versa. It produces what I call a “threshold effect”. Indeed ,if his art is in no way a biographical narrative, it draws its source from what he calls his memory and what I call his fantasies (Ogni dipintore dipinge se).This is unavoidable and fascinating because it is in this sense that the emotional charge given to the materials of his works draws its authenticity from them. Beneath the veneer of appearances lies the moving force of emotions. The black and white sequences therefore appealed to me because their subject matter is that of Povey’s psychic and creative intimacy. The beautiful wooden box ,which contains family photos, notably of his father, could be a funeral urn, but for me it has a different meaning. It represents the silenus embodied by Socrates in the Symposium. This silenus is a box containing the agalmata, i.e. shiny, coveted and desirable objects. Alcibiades has realised that his desire for Socrates is not carnal, but rather lies in the knowledge that his master possesses. These algamata are objects that induce desire, and for him I would say that the algamata contained in the small chest are the cause of his desire as a painter. This father, terrible and traumatic in some ways, also gave him the resource to sublimate in art, an art that is part of his being. 

Thanks to this play of alternating colour and black and white, it is here that I believe the main thread of this beautiful film lies. There lie some enigmatic secrets of his creative process. I think Peter Pahor is very astute and subtle in the way he handles his camera. Moreover, it must be said that Edward Povey is magnificent and endearing, admirable and generous, authentic. It is a part of his inner world that he reveals to us.

Of course it was also a great pleasure to see and understand how he works. What energy his art demands

from him and what stubbornness he must have in order to achieve in his paintings what his inner world evokes or even imperiously calls forth. With Povey, the struggle and the fight with his ghosts is never far away. There is no doubt that creating is unescapable for him, it is a matter of preserving his being. 

One of the last shots of the epilogue, with the piano and « NABOKOV’S WINDOW » in the background, is magnificent, excellent ! I might have added a slow focal length movement to gently shift the focus from the piano to this beautiful canvas, which would have gradually shifted from a wispy blur to a blazing clarity. 

One final point is important to me, when Edward Povey speaks of his mainly female models. His concern to use women as reference figures, whether to represent women or men, regardless of the link he makes to his father’s remark about what a man should be, which he, his son, would not be, is for me essential. It is I think, a way of maintaining the tenuousness of an enigmatic threshold between the feminine and the masculine and a real space for creation. His way of doing this is important to me because I think that being a man is first of all recognising oneself ,in part, as a woman beyond social representations and stereotypes. 

PS : I wondered if Peter Pahor was a fan of Robert Bresson’s cinema. The first film, the shortest, is the antithesis of Bresson, but the second film, with its temporality, this way of filming an action, in a linear way, in its tiniest details, reminded me of him.

Jean-François Ferbos