La physique quantique et l’enchevêtrement matière-signification
Karen Barad
Traduit de l’américain par Denis Petit
SSN : 1284-8166 ISBN : 978-2-914596-68-8,
25 € (Supplément gratuit pour les abonnés au numéro 41 de L’unebévue Revue, à paraître.)
Si Foucault a raison de dire que le pouvoir opère à travers la constitution spécifique des corps et des subjectivités, alors les nanotechnologies ont le potentiel de reconfigurer la matérialité de notre être jusqu’aux atomes mêmes de l’existence, et au-delà, jusqu’au point où l’individualité est elle-même effacée par les enchevêtrements spécifiques du devenir qui dépassent les distinctions entre bios et techniques, organique et inorganique, artificiel et naturel, esprit et corps. La « microphysique du pouvoir » de Foucault n’opérerait pas seulement à l’échelle des atomes individuels ; l’échelle elle-même serait itérativement reconstituée à mesure que l’espacetempsmatière est reconfiguré. Les corps ne sont pas situés dans le monde, ils font partie du monde. L’encorporation ne consiste pas à se situer dans un lieu spécifique du monde, mais plutôt à être du monde dans sa spécificité dynamique.
La nature même de la matérialité est un enchevêtrement. L’autre n’est pas seulement dans notre peau, mais dans nos os, dans notre ventre, dans notre cœur, dans notre noyau, dans notre passé et dans notre avenir. Cela vaut aussi bien pour les électrons que pour les ophiures, et pour l’être humain constitué de manière différenciée.
Même dans notre devenir, il n’y a pas de « moi » séparé du devenir intra-actif du monde. La causalité est une affaire enchevêtrée : il s’agit de couper/assembler les choses (à l’intérieur et dans le cadre des phénomènes). Il ne s’agit pas d’un transfert de quantité de mouvement entre des événements ou des êtres individuels. L’avenir n’est pas le point final d’un ensemble de réactions en chaîne ramifiées ; c’est une expérience en cascade.
Karen Barad est professeure des études féministes, philosophie, et histoire de la conscience à l’université de Californie de Santa Cruz. Elle a un doctorat de physique théorique des particules et théorie des champs quantiques.